Carnet de voyage numéro 2 : photographier dans l’Empire du Milieu
Il ne se passe plus une semaine, sans que quelqu’un, en France, ne me demande si je suis autorisé à faire des photos d'avions militaires au salon, en Chine.
Pourquoi ?
Je n’hésite jamais à m‘aventurer (1) sur le terrain « aéronautique » de la première puissance économique mondiale, me rendant tous les deux ans, au salon Airshow China. L’événement est organisé en novembre, sur l’aéroport de Zhuhai, une ville en plein boom économique, à moins d’une heure de Hong-Kong, par bateau. La Chine est un empire militaire renaissant, dont l’influence est indéniable sur le Pacifique et l’Asie Centrale. C’est surtout le cas, depuis l’année 2005, quand les forces chinoises ont mis en service des centaines de Su-27 SK, Su-30 MKK, et J-10, les plaçant en supériorité par rapport à leurs adversaires de Taïwan. Mais aussi, l’Empire du Milieu fait respecter ses intérêts face au Vietnam, au Japon, et aux USA, sur la question de la circulation maritime de ses approvisionnements, et de l’exploitation économique de la Mer de Chine. C’est dans ce contexte, que son budget de défense, de 180 milliards de Dollars en 2016, la classe au deuxième rang mondial. Pas de quoi être si impressionné, pour l’explorateur de cultures aéronautiques que je suis, citoyen d’un « vieux continent » dont les relations avec l’Empire du Milieu, très commerciales, sont jugées comme étant productives aux yeux de mes interlocuteurs cantonais.
Depuis mon retour du salon de Zhuhai, le 9 novembre 2016, J’ai remarqué qu’il ne se passe plus une seule semaine, ici en France, sans que quelqu’un ne me demande si je suis autorisé à faire des photos d'avions militaires au salon, en Chine ! La réponse est oui, évidemment. Oui, il m’est autorisé de photographier des avions militaires, en gros plans, à Airshow China. Pourtant cette affirmation semble encore étonner la plupart de mes interlocuteurs qui doutent de cette liberté. Pourquoi ? Parce que nous résonnons tous, malgré nous, en suivant nos doutes et en fonction de schémas qui nous sont distillés par nos médias, ou par certains gouvernants, au sujet des super puissances. Parce que notre cerveau a par nature, besoin de se rassurer, en s'alimentant d'informations déformées par un certain nombre de médias de masse, ceux-là même, qui nous décrivent systématiquement, tant de nations, comme étant - potentiellement - hostiles. Le neuro-scientifique Alf Rehn, l'a démontré.
C'est une joie de "secouer" cette habitude occidentale qui consiste à caricaturer (un peu) les « émergents » de manière négative. C'est une motivation de plus, pour moi, pour montrer avec mes images, « comment ça se passe là-bas ». A ce titre, je vais vous raconter dans quelles circonstances de planification de prises de vues, là, en Chine, j’ai obtenu la coopération très étroite d’une police militaire, dont les mêmes uniformes ne nous ont pas émerveillés, nous, occidentaux, lors de certains événements de 1989 …
Mais de quelle « aventure » (1) s’agit-il ? Une « aventure » ne suppose-t-elle pas, qu’il y ait des rebondissements, pour qu’elle soit « aventure » ? C’est en effet le cas, à Zhuhai, pour photographier. Première expérience pendant Airshow China 2012. Sur le tarmac du salon, il est impossible de faire des images des démonstrations en vol, car celles-ci sont à contre-jour. De toutes façons, de l’autre côté de l’aérodrome, se trouvent deux immeubles, dont les particuliers louent l’accès aux toits. Une aubaine pour les chasseurs d’images. Ces immeubles sont célèbres dans le monde, car leurs plate-formes sont à distance de de 150 mètres à peu près des avions en évolution. Cela étant, n’ayant pas de véhicule, je dois emprunter un taxi, à l’entrée du salon, pour pouvoir m’y rendre. Les chauffeurs de taxis chinois ne comprennent pas un mot d’anglais - ou font semblant de … - et se montrent souvent rustres ou disposés à arnaquer les étrangers sur le prix d’une course. Comme je ne parviens pas à expliquer au chauffeur que j’ai choisi, à quel endroit je veux me rendre (malgré mes dessins en main), un groupe de quatre policiers militaires viennent à ma rencontre. Leur officier, se présente, et me demande si j’ai besoin d’aide, le sourire aux lèvres, et dans un parfait anglais.
j’ai obtenu la coopération très étroite d’une police militaire,
Je m’attends au pire, car en France, et en particulier au Bourget, il est très mal vu, voire interdit, de se rendre dans une zone qui se trouve en aire d’envol, au nom de « ma sécurité », selon les termes consacrés dans notre pays. Mais quelle n’est pas ma surprise, ici à Zhuhai, de voir que le policier organise ma course avec le chauffeur, négociant lui-même un tarif, en m’expliquant que cet immeuble (qui encore une fois..., serait interdit dans une situation française), est le meilleur « spot » pour les photographes, car une fois sur les toits, nous serons survolés en permanence. Insistant pour que j’y aille, il s’arrange, en me laissant sa carte de visite, pour que je le prévienne si le taxi s’aventurait à me faire payer un autre tarif que celui qu’il a convenu avec lui. Car en fin de journée, les routes seront bloquées, et le taxi ne pouvant revenir me chercher, j’ai choisi de le louer pour la journée entière (!), pour moins de 60 Euros, le forfait négocié par le policier. Finalement, le chauffeur est resté avec moi toute la journée, sur le toit de l’immeuble, pendant que je photographiais, afin qu’il puisse me ramener à mon hotel, dans le sens du retour. Au final, le policier militaire s’est transformé en animateur de voyage.
Seconde expérience, à Airshow China 2016. je découvre que les accès routiers vers la même aire d’envol, sont encore bloqués pendant l’après-midi. Cela étant, j’ai vite remarqué que les policiers laissent passer dans les deux sens, tous les moyens de transport dans lesquels ils voient des photographes accrédités, et lorsqu’ils voient que nous étrangers, ils nous décochent un immense sourire. Un matin je suis quand-même venu sur le site en partant à 4 heures du matin, en taxi, au départ de mon hotel. Avec un collègue néo-zélandais, journaliste à Hong-Kong, et un copain britannique, nous souhaitions être aux premiers rangs, en arrivant avant les autres photographes, en pleine nuit. Nous sommes accueillis par les propriétaires, lampes de poche à la main. Avec ces maigres éclairages, nous sommes aidés à franchir les derniers mètres nous séparant du toit, au moyen d’un unique échelle, non fixée au mur, brinquebalante, et que nous devons tenir tour à tour, pour nous entraider, et ne pas chuter. Dans les charmes du noir total, je tiens ma maglite entre les dents.
Sur le toit de l’immeuble, et sous une chaleur de 30 degrés, pendant la journée, je suis survolé deux fois par jour, par le « diamant de Kubinka », constitué des cinq Su-27, plus quatre MiG-29 russes, puis par la patrouille chinoise « BaYi », sur six Chengdu J-10, et enfin par les Red Arrows, sous un angle meilleur que chez eux, en Angleterre. A 400 mm de focale, les avions sont trop gros. Je savoure ce privilège, cette perle de Chine. Avec ce cas chinois, j’ai rarement vu un airshow aussi bien organisé. Par opposition, je repense, songeur, au désastre des files d’attente, aux portes d’entrées du Bourget. Pour photographier en Chine, j’ai un sac à dos de 15 kilos de matériel, contenant deux boitiers Nikon et un téléobjectif 300 mm AFS VR II qui ouvre à f.2.8., ainsi que des convertisseurs de focales qui ne servent presque à rien.
Toutes les photos identifiées « à Zhuhai », que vous trouverez dans le livre « Mondes de Patrouilles » (parution Sept.2017) , ont été prises avec un D4, en étant posté sur les toits de ces deux immeubles. Les chinois n’ont pas fini de me revoir dans leurs salons, qui pour de simples raisons de géopolitique mondiale, font partis de mes sources de reportage prioritaires.
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