Paris-Villaroche Air Legend : la potion magique

Dans le sillage des vaccins, les événements aéronautiques reprennent en France. Plus de 50.000 personnes se sont rendues les 11 et 12 septembre à Melun-Villaroche, pour admirer près de 45 warbirds, les RSD, " 2000 " Gusto, et Atlas de l’Armée de l’air, et aussi les Rafale M, Atlantique II, Alouette III, et Bagad de la Marine nationale. Et ce n’est pas un Beech 18 glissant dans les choux par un double « cheval de bois », qui aurait pu faire douter de la qualité de l'ensemble.

Photographies de Thomas et François Brévot

Génération « airshow » QR codée

En 2020, les « airshows » en France avaient été annulés. Les avions de collection ont été, de fait, cloués au sol pour une raison aussi inédite et surréaliste, que nécessaire : combattre la propagation d’un virus dans les rassemblements de personnes. Dans le même temps, le tissu industriel français, et la filière aéronautique, se sont trouvés fragilisés par le choc financier des confinements répétés. Les sponsors annonçaient même leurs doutes sur leur capacité à financer des événements avant 2022. Le tout dans une ambiance pimentée par les campagnes d’aviation « bashing » des radicaux verts, verts à l’extérieur, et rouges à l’intérieur, comme les pastèques.

Et là, quasi-miracle En plein été 2021, une majorité de français avaient eu le sage réflexe d’accepter la potion magique : le vaccin. Le fameux QR code passe-partout entrait désormais dans nos téléphones et notre quotidien, garantie QR pour les visiteurs, qu’en se serrant un peu, face aux avions démarrant avec vacarme, ils ne partageaient qu'un virus : celui des hélices, celui qui fait rêver les enfants normaux que les pastèques vertes de Poitiers n’ont pas réussi à décourager. Le QR Code Pfizer, c’est bien lui, au final, ce gadget, qui permet à ceux qui le souhaitent, de se retrouver sur des aérodromes, défiant ainsi, par leur regroupement actif, celles et ceux qui pendant 18 mois, ont cru pouvoir profitter de la situation pour se débarasser de l'aviation. Car sans le vaccin, les meetings n’auraient pas pu ouvrir avant 2022, au moins. Et voilà, nous sommes tous de retour. www.sky-lens.com/articles-storyboard.php?recordID=295

Un Air Legend de rebond

En 2018, l’équipe de JM Airshow avait lancé le 1er Air Legend sur les pistes de l’ancien centre d’essais de Marcel Dassault, à Melun-Villaroche. Ce jour-là, j’avais même été invité à stationner mon véhicule fièrement, sur un parking situé devant un Mystère IVA, qui d'ailleurs, n'est plus exposé cette année. Je me prenais pour un pilote d’essais des années 50 qui venait se garer là , devant son avion.

Une centaine de warbirds se succédaient, ce jour-là, dans un ciel « de curée », avec quelques aéronefs de nos armées, conformément aux usages, dans ces manifestations. En 2019 : remake. 2020 : Covid et néant. Et voici 2021 : action, et rebond. 

Cette année, on ressent les caprices des sponsors. Les grands groupes aéronautiques seraient-ils des indigents ? Ils ne sont même plus affichés parmi les partenaires, même pas Dassault, qui est ici, sur son canal historique. Mauvais signe. Mais c’est peut-être provisoire.

Je compte près de 45 avions de collection, tous aussi rutilants les uns que les autres, sur les parkings du matin. Ils participent de 13h à 18h, par petits groupes, à des évocations historiques. Les pilotes sont coordonnés entre eux comme les acteurs au théâtre. La narration piquante et amusante de Bernard Chabbert prend une dimension presque démesurée par rapport aux vols. Car le budget semble être plus serré qu’il y a 3 ans, alors, la pyrotechnie n’est plus là, à l’exception du Tora show . Là, où il y avait près de cinq avions sur un tableau , on en trouve deux ou trois. Ainsi, les belles histoires de l’oncle Chabbert nous occupent, pendant que la belle scène s’étend en longueur avec de courts instants de vide. Peu importe, car c’est la mise en scène qui seule, compte, et les avions sont si beaux.

Rutilants et hallucinogènes

Quelle magie, ces oiseaux venus des Alpes. Les rayons du soleil éclatent dans l’aluminium, à s’en crever les yeux. Ce matin à Melun, on se croirait en Arizona. Un DC-3 avec trois Beech 18 de la « Classic formation » suisse, des appareils polis à briller d’une façon complètement dingue : je rêve de me raser, en me regardant dedans. Un miroir de plusieurs mètres de long s’offrirait à moi. Une toilette du matin, aristocratique, comme les aviateurs la pratiquait dans le Sahara.

Il parait que les oiseaux de l’autrichien Red Bull, sont imbattables pour jouer aux miroirs déformants. Le B-25J devient un studio photo intégré, pour créer des images dans lesquelles les éléments de l’avion lui-même, se reflètent les uns dans les autres. Ah ! Red Bull, le dernier sponsor d’Europe, presque un dinosaure à cornes, depuis que le grand Breitling a cédé aux sirènes de l’idéologie verte pastèque et renié ses hélices.

En réalité, Red Bull qui fit fortune avec sa boisson aux propriétés, dit-on, hallucinogènes, est bien plus que cela .... C'est une « boite » d'événementiel, et d'ailleurs, il y a un paradoxe : les pilotes qui en font la promotion, n’en boivent pas, à cause de son goût de bonbons sucé pour bébés. 

Alors, l’important, c’est que les rutilants F4U-4, B-25J, et P-38J, du taureau hallucinogène sont bien là, emmenés par ces hommes avec un pilotage délicat. D’ailleurs, si vous vous rendez, un jour, sur l’aéroport de Salzburg, visitez ce magnifique Hangar-7 au design fou, où sont exposés tous ces avions comme des tableaux d’art. Alors, l’année prochaine, n’oubliez pas d’apporter votre lame de rasoir et votre mousse à raser, à Melun.

Puissance de l’imagination

En général, les français sont des latins : ils parlent beaucoup, beaucoup, et dans le même temps, ils manquent d’imagination. Mais avec l’équipe d’Eric Jannsonne, de Thierry Marchand, et de Christian Amara, c’est plutôt l’inverse. Discrets pendant l’année sur le contenu des tableaux aériens, ils imaginent une petite mise en scène dont ils nous laissent la surprise, pour le dernier moment. Telle est son habitude, la Marine nationale ne manque jamais de créativité : voilà un service public qui sait séduire. L’Armée de l’air pourrait s’en inspirer pour présenter ses lampes à souder avec moins de rigidité, notamment dans les commentaires. Ainsi la combinaison navale de deux Rafale M plus deux Corsair ( leurs illustres prédécesseurs ) constituait presque la cerise sur le gateau de la journée, alors même, que nous étions en pleine ouverture du meeting. Merci aux pompons rouges.

Antoine de Saint-Exupéry avait justement écrit sur cette puissance de l’imagination. Lorsque j’étais étudiant à Bordeaux, j’avais investi toutes mes économies dans mon premier zoom pour commencer à photographier les avions. A moitié ruiné, je rêvais des images que j’allais faire un jour avec ce mini télé, alors que paradoxalement, je n'avais plus les moyens de voyager. Un jour, je sortais de mon immeuble, et je tombais sur une collection de « Poche », de Saint-Exupéry vendus par un bouquiniste, à 50 centimes pièce, à même le trottoir, et j’ai tout acheté.

Alors quelle magie ici, à Air Legend, la Patrouille de France, précédée du P-38J Lightning de Red Bull, (encore lui !) réalisant ensemble une formation surprise pour St Ex. Le Lightning symbolise celui de St Ex. Avec mon fameux objectif ( en réalité remplacé depuis le temps de Bordeaux…, par un modèle pro ), j’immortalise l’instant, me souvenant avec émotion des photos que j’imaginais fair, étudiant, en lisant en même temps, les petits « Poche » de St Ex. C’était il y a 35 ans.

Dessine moi des moutons dans le ciel. Mais non, ce sont des nuages…